Notes

1   Les fabliaux

Ce petit texte anonyme du début du 13me siècle sert d’introduction au genre comique au moyen âge. C’est un fabliau, ou “petite fable”, tiré de tout un recueil de contes à rire en vers. Dans ces histoires bouffonnes (souvent grivoises, parfois obscènes), l’action est à la fois réelle et exagérée, et les personnages sont stéréotypés mais bien reconnaissables dans leurs couches sociales: maris et femmes, prêtres, étudiants et ribauds, bourgeois et paysans. Ce fabliau nous raconte la (més)aventure d’un vulgaire rustaud, simple “vilain” qui se trouve dépaysé avec ses deux ânes en pleine ville...

2   Traduction: “Il avint ja...fumer.”

“Il était une fois qu’un rustaud de Montpellier avait l’habitude de charger ses deux ânes d’un grand tas de fumier, (à vendre) pour fumer la terre.”

3   Le plus–que–parfait

Le plus–que–parfait se conjugue souvent en ancien français avec le prétérit du verbe “avoir/être” (et non avec l’imparfait, comme aujourd’hui).

Conjugaison du verbe “avoir” au prétérit:

1ère personne oi
2me personne eüs
3me personne ot/out
4me personne eümes
5me personne eüstes
6me personne orent

4   La contraction

A noter cette forme amalgamée en ancien français des deux éléments de la préposition et de l’article défini: “en + le” = “el”. C’est par ce même procédé que “de + le” est devenu le “du” du français moderne (en passant par un ancien “del” intermédiaire). Même chose pour “a + le” > “al” > “au”...

5   Traduction: “Tant a fait que...espiciers.”

“En route, il s’est enfin engagé dans la Rue des Epiciers.”

6   Les rues au moyen âge

Dans la ville médiévale tous les métiers bourgeois se groupaient normalement dans un petit quartier ou dans une rue particulière, ce qui explique les noms actuels de tant de rues parisiennes (quai des Orfèvres, rue de la Coutellerie, rue des Rosiers) ou londoniennes (Bread Street, Poultry, Cornmarket). Etant donné que les épices étaient au moyen âge des denrées rares et par la suite très chères, la présence ici d’un sale paysan est pour le moins inopportune!

7   Traduction: “qui li donast...un pas”

...“Même si l’on lui eût offert cent livres comptant, il aurait été incapable de marcher encore un petit pas en avant...”

8   Conjugaison du verbe “estre” au subjonctif

Présent
Imparfait
1ère personne soie fusse
2me personne soies fusses
3me personne soit fust
4me personne soions fussons
5me personne soiez fussez/fussiez
6me personne soient fussent

Notons que dans cet exemple l’imparfait du subjonctif s’emploie normalement là où en français moderne on trouverait l’indicatif (“comme s’il était mort”).

9   Traduction: “Autresi con...morz.”

“...tout comme s’il était mort.”

10   La Crainte de la Mort

Pourquoi notre paysan évanoui sème–t–il tant de panique parmi les bons bourgeois? On le croit mort, oui, mais à une époque bien violente un cadavre plus ou moins (même dans un quartier de “shopping chic”) ne ferait pas tellement peur aux gens! C’est que ces bourgeois le croient plus précisément mort de la Peste qui l’aurait accompagné en ville et qui les menacerait à leur tour...

11   Conjugaison du verbe “ester” au prétérit (irrégulière)

1ère personne estui
2me personne esteüs
3me personne estut
4me personne estumes
5me personne estustes
6me personne esturent

A noter la distinction entre les deux verbes “estre” (= “être”) et “ester” (= “rester”, “se tenir debout”).

12   Le preudome

“Preudome”: dans ce contexte, c’est quelqu’un un peu plus sage que les autre bourgeois effarés, qui reconnaît que le vilain n’est point mort, et qui saura tirer profit de l’affaire.

13   Conjugaison du verbe “veeir/veoir” à l’imparfait de l’indicatif

1ère personne veeie/veoie
2me personne veeies/veoies
3me personne veeit/veoit
4me personne veions/voions
5me personne veiez/voiez
6me personne veeient/veoient

La forme “veeir” est la plus ancienne (12me siècle): “veoir” est beaucoup plus courant dans les textes du français du moyen âge (et plus proche d’ailleurs de la forme moderne du verbe “voir”).

14   Déclinaison de “sire/seignor”

Singulier
Pluriel
Sujet sire(s) seignor
Complément seignor seignors

Quelques noms (pour la plupart désignant des rangs ou des titres) ont deux formes, servant à distinguer des autres cas le singulier du sujet. A noter que toutes les deux formes de cet exemple subsistent en français moderne, celle de “sire” étant réservée (tout comme en anglais) à l’appellation royale.

15   Conjugaison du verbe “garir” au conditionnel

1ère personne gariroie/–eie
2me personne gariroies/–eies
3me personne gariroit/–eit
4me personne garirions/–iens
5me personne gaririez/–iiez
6me personne gariroient/–eient

(Les secondes formes sont plus anciennes.)

16   Traduction: “Seignor...du son”

“Messieurs...s’il y a quelqu’un qui souhaite que ce brave homme soit guéri, je serais bien prêt à le faire, mais contre espèces!”

17   Une fourche ironique

Ironie assez savoureuse: cette même fourche qu’avait employée le “vilain” pour aiguillonner ses ânes (voir au vers 8) l’aiguillonnera à son tour! Et l’homme d’être réduit au rang des bêtes...

18   Le monde à l’envers

Ressuscité, le brave paysan est heureux, et nous rions au spectacle grossier d’un monde à l’envers, où le fin parfum l’étouffe et où seule la merde lui sent bonne...

19   Traduction: “et dit...passer.”

“...tout en disant que jamais il ne repasserait par là, s’il savait trouver autre chemin.”

20   Conjugaison du verbe “voloir” au présent de l’indicatif

1ère personne veuil
2me personne vuels
3me personne v(u)elt
4me personne volons
5me personne volez
6me personne vuelent

21   Traduction: “Et por ce...desennature”

“Et pour cette raison, je tiens à vous démontrer que celui qui fuit l’orgueil agit en bon sens, et en homme modéré.”

22   Moralité (?)

Cette “moralité” (que chacun reste fidèle à sa propre nature) n’est guère à prendre au sérieux! Elle est narquoise, le conteur nous pousse à nous moquer de ce “paysan dépaysé” qui est à l’aise auprès de son fumier (mais non dans la belle rue des Epiciers).