Notes

1   Un chevalier impieux

C’est avec ce texte anonyme de la première moitié du 13me siècle que nous entrons dans le domaine de l’Eglise. Voici un conte pieux qui reprend, dans un contexte très dramatique, beaucoup des motifs des sermons populaires de l’époque: péché et transgression, châtiment et repentir, confession, pénitence et salut. On raconte l’histoire d’un baron anarchique qui mène une vie de démesure, se livrant sans cesse à des actes violents et criminels contre tout le monde, mais qui, par un vendredi saint, accompagne ses hommes féodaux désireux de se confesser auprès d’un saint ermite. L’attitude de notre baron est loin d’être louable: il se moque de ses bons chevalier et de leur foi, il menace le vieil ermite au seuil de sa cellule forestière. Enfin, il accepte de se confesser, mais dans un esprit tantôt narquois, tantôt coléreux. On attend donc la réaction de l’ermite-confesseur...

2   Déclinaison de l’article défini masculin/féminin

Singulier masculin Singulier féminin Pluriel masculin Pluriel féminin
Sujet li la li les
Complément le la les les

3   Traduction: “vous avés bien...sans repentance.”

“Vous m’avez bien tout avoué de votre vie, mais sans y mettre un brin de repentir...”

4   Mais où est le sujet? (Rappel)

A noter l’absence régulière en ancien français du pronom sujet:

- “j’ai trouvé...” - “ai trové...”

- “elle disait...” - “disoit...”

- “nous voulons...” - “volons...”

et ici: “si vous vouliez...” - “se voliés...”.

5   L’importance du vrai repentir

Sans repentir, la confession du baron reste sans valeur. L’ermite le pousse donc à faire un acte de pénitence qui le mènerait peut-être à la bonne voie du salut.

6   Déclinaison du verbe “avoir” au conditionnel

1ère personne avroie/aroie
2me personne avroies/aroies
3me personne avroit/aroit
4me personne avrions/arions
5me personne avriez/ariez
6me personne avroient/aroient

(Voir au v. 43)

* Au conditionnel, on trouvera aussi (surtout dans les textes du 11me/12me siècle) la plus vieille terminaison en “-ei-” (“avreie”) qui se modifiera plus tard en la forme commune en “-oi-”.

7   Déclinaison des pronoms et adjectifs démonstratifs

Singulier
Pluriel
Masculin Féminin Masculin Féminin
Sujet cil cele cil celes
Cas régime (complément direct) cel cele cels/ceus celes
Cas oblique (complément indirect) cel(u)i celi cels/ceus celes
Sujet cis(t) ceste cist cestes/cez
Cas régime (complément direct) cest ceste cez cestes/cez
Cas oblique (complément indirect) cest(u)i cesti cez cestes/cez

* Notons que ces deux formes (représentées en français moderne par les tournures “celui-là”/“celui-ci”; “ce ...-là”/“ce ...-ci”) sont analogues aux distinctions démonstratives anglaises: “that”/“this”.

8   Devant quel verbe le pronom?

En ancien français, dans une construction verbale avec les auxiliaires “vouloir”,“pouvoir” ou “savoir”, on notera la position du pronom régime: devant ce verbe auxiliaire, et non pas devant le verbe principal comme en français moderne. Ainsi: “il me veut veoir” (français moderne: “il veut me voir”); “bien le poura faire” (français moderne: “il pourra bien le faire”). Notez aussi que l’expression “(vous) me volés faire peneant” se traduirait plutôt en français moderne par “vous voulez faire de moi un pénitent”, et que la syntaxe de l’ancien français est plus proche de l’anglais: “...to make me a penitant”.

9   Traduction:  “Mal dehait...je le soie!”

“Que Dieu maudisse celui qui ait à faire avec le repentir, ou qui veuille jamais que je sois moi-même pénitent!”

10   Les actes de pénitence

En citant les options à la disposition du baron, l’ermite lui offrira, l’une après l’autre, toutes les pénitences que l’Eglise médiévale recommande à ses fidèles: depuis les actes les plus rigoureux jusqu’au simple geste de la prière.

11   Conjugaison du verbe “doner” au futur et au conditionnel

Futur Conditionnel
1ère personne donrai/dorrai donroie/dorroie
2me personne donras/dorras donroies/dorroies
3me personne donra/dorra donroit/dorroit
4me personne donrons/dorrons donrions/dorrions
5me personne donrez/dorrez donriez/dorriez
6me personne donront/dorront donroient/dorroient

* A noter la forme réduite sans “-n-”, présente dans ce texte (cette forme écrite “douriés” témoignant d’ailleurs du “flou orthographe” au moyen âge). Au conditionnel, on trouvera aussi (surtout dans les textes du 11me/12me siècle) la plus vieille terminaison en “-ei-” qui se modifiera plus tard en la forme commune en “-oi-”.

12   Le jeûne

Au moyen âge, le jeûne était imposé aux fidèles de façon régulière, et surtout le vendredi. Comme c’est le cas dans les communautés catholiques d’aujourd’hui, ce “jeûne” signifiait le plus souvent la proscription de la viande.

13   “Apprenez le picard sans peine...”

Notre ancien français standard, on l’appelle “francien”: c’est le langage de Paris et de la région de l’Ile-de-France. Mais il y avait d’autres dialectes d’ancien français, dont celui du nord, le picard, était très important. Dans ce conte pieux, quelques-unes des formes sont en effet picardes (n’est pas rare un mélange dans un même texte des deux dialectes francien et picard):

- Le picard transforme en “ca-” le “cha-” du francien. Ainsi: “descaus”, “cascun”, “car”.

- Le picard transforme en “chi-/che-” le “ci-/ce-” du francien. Ainsi: “chi”, “puchiés”, “blechiés”.

- En dialecte picard, l’article défini féminin peut prendre les formes du masculin au singulier. Ainsi: “li mer” (cas sujet), “le fontaine” (cas régime).

- Le picard offre les formes suivantes des adjectifs possessifs: “men”, “ten”, “sen” (francien: “mon”, “ton”, “son”).

- Le picard transforme “-eau” en “-iau”. Ainsi: “biau”, “iau” ... et le genre comique du “fabliau”.

14   Sacré prophète!

Oui, on le sait: Abraham (premier aïeul du peuple israélite), est prophète, et non pas saint. Mais au moyen âge populaire, on accorde quand même la sainteté aux grandes figures de l’Ancien Testament, en tant que précurseurs de la foi chrétienne. (Et pourtant les descendants juifs d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, eux, seront persécutés et dispersés partout en Europe médiévale...).

15   Le port de la toile à sac

Pour ces membres de la haute société médiévale, adonnés aux riches vêtements et aux vives couleurs, aller en haillons ou porter de la toile à sac aurait représenté une dure pénitence! Ce qui frappe surtout les chroniqueurs anglais du 12me siècle qui nous parlent de la contrition du roi Henri II après l’assassinat du saint Thomas Becket, c’est qu’en se présentant seul devant la porte de la cathédrale de Cantorbéry, ce roi pénitent porte le sac et la cendre. (Au moyen âge, la Chemise (ou Chainse) était un long vêtement de lin ou de toile fine, destiné aux couches sociales supérieures.)

16   La flagellation

La discipline la plus violente imposée au pécheur contrit au moyen âge, c’était la mortification de la chair par l’acte de flagellation. (Poussée à l’excès au 14me et au 15me siècles, cette pénitence se manifestera trop souvent, et en public, par le cortège à travers ville des divers “Ordres des Flagellants”.)

17   Outremer

“Au-delà de la Mer”, c’était le nom commun accordé à la Terre Sainte, but du plus long des pèlerinages à l’époque médiévale, et enjeu de ces guerres de religion féroces que furent les Croisades. Sont un peu ambigus ces mots de l’ermite: propose-t-il au baron un simple pèlerinage à Jérusalem, ou le pousse-t-il à prendre la croix même, à lutter contre les Sarrasins en Palestine? Quelle que soit cette pénitence, elle sera bien périlleuse (comme le prévoit notre baron, au v. 34), les voyages par mer au moyen âge n’étant jamais sans danger (sans parler de la présence sarrasine en Terre Sainte).

18   Les pèlerins de Saint-Jacques

Après Rome, centre de la crétienté occidentale du moyen âge, c’est la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne du nord (Santiago de Compostella) qui attire le plus grand nombre de pèlerins pénitents, qui ont à traverser la France et à franchir les hautes Pyrénées pour gagner ce haut-lieu de la foi. Le “badge” du pèlerin, c’était la coquille Saint-Jacques...

19   Les prières essentielles

Ayant vu rejetées toutes ses autres propositions, l’ermite finit par recommander au baron un geste pénitent que tous les fidèles du moyen âge auraient reconnu comme automatique: la récitation à genoux des deux oraisons premières, la Patenôtre (“Notre Père qui est aux cieux...”) et le “Je vous Salue Marie”. Le fait que le baron obstiné refusera même de faire ces deux petites prières nous indique jusqu’à quel point il est impieux, et donc damné...

20   Traduction:  “Si soiés tant...doinst salu.”

“Pour que le bon Dieu vous accorde son salut, mettez-vous bien à genoux: le temps de faire les deux prières de la Patenôtre et de l’Ave.”

21   Conjugaison du verbe “doner” au subjonctif

Présent Imparfait
1ère personne doinse donasse
2me personne doinses donasses
3me personne doinst/do(i)nt donast
4me personne doinsons/donons donassions
5me personne doinsiez/doneiz donassiez/donasseiz
6me personne doinsent/donent donassent

22   Drame du texte

C’est au moyen du dialogue dramatique que l’auteur anonyme sait communiquer à son public tous les éléments moralisants de son conte. Le “combat verbal” entre ermite et chevalier est très réussi: à chaque pénitence proposée par celui-là, celui-ci s’oppose un refus brusque et moqueur. Il ne reste à l’ermite que de demander au baron un geste des plus banals (semble-t-il), que le pécheur, se croyant sorti vainqueur du combat, acceptera sans hésiter...

23   Traduction:  “Si ferés...de nous.”

“Mais si! Plaise à Dieu qu’il vous plaise aussi, avant que vous ne partiez d’ici, vous allez faire quelque chose de bien.”

24   La négation

L’expression de la négation en langue française (moderne comme ancienne) prend un sens quantitatif ou même qualitatif: “(ne)...pas”, “(ne)...point” indiquant une unité infiniment petite. Un de ces substantifs de la négation très courant en ancien français, et plus évocateur encore par son sens à valeur minime, c’est “mie” (une miette).

25   Attention à la priorité...

On notera l’ordre devant le verbe des pronoms personnels: en ancien français, la priorité est au régime direct, et non à la personne. Ainsi: “vous... le m’aportés” (en français moderne: “vous... me l’apport(er)ez”). Et pourtant, en français moderne l’ordre ancien n’est-il pas maintenu après l’impératif du verbe? Ainsi: “Apportez-le-moi!”...

26   Le sacrifice de l’ermite

En se déclarant prêt à endosser la lourde responsabilité de tous les péchés commis par le baron, si ce dernier ne fait autre chose que de lui remplir un petit baril à l’eau, le saint ermite fait preuve d’un esprit d’abnégation qui souligne l’opposition entre les deux hommes: entre celui, mondain, qui ne vit que pour lui-même, et celui, fidèle à l’Ecriture sainte, qui se sacrifie pour le bien d’autrui.

27   Déclinaison du nom “sire”/“seignor”

Singulier Pluriel
Sujet (li) sire(s) (li) seignor
Complément (le) seignor (les) seignors

* On notera surtout les deux formes. Les noms figurant dans cette déclinaison “irrégulière” (ils ne sont d’ailleurs pas nombreux) sont pour la plupart des titres ou des désignations personnelles: ber/baron, fel/felon, traïtre/traïtor, gars/garçon, compain/compagnon, enfes/enfant, niés/nevou, Charles/Charlon, Hugues/Hugon... La langue moderne a “choisi” l’une de ces deux formes (souvent le cas régime), en laissant tomber l’autre, ou en la reléguant au langage populaire (“gars”, “copain” - ou, dans ce cas précis, au titre anglais archaïque: “Sire”).

28   Conjugaison du verbe “oïr” au prétérit

1ère personne
2me personne oïs
3me personne
4me personne oïmes
5me personne oïstes
6me personne oïrent

29   Conjugaison du verbe “aler” au présent

1ère personne vois*
2me personne vois/vas
3me personne vait/va
4me personne alons
5me personne alez
6me personne vont

* A ne pas confondre “vois” (français moderne “je vais”) avec “voi” (français moderne: “je vois”)!

30   “Ert” ou ne pas “ert”, voilà la question...

En ancien français, une même forme “ert” désigne à la fois la 3me personne du futur, et la 3me personne de l’imparfait de l’indicatif du verbe “estre”. En principe, seul le contexte en distingue l’une de l’autre; mais il est évident que ce verbe le plus fréquemment utilisé de la langue française ne saurait risquer pour longtemps une telle confusion entre futur et passé! Peu surprenant, donc, si la langue insistera sur les formes variantes que nous utilisons aujourd’hui: “sera” et “était”. Pourquoi cette forme unique en “ert”? C’est la faute du latin: “erit” (futur) et “erat” (imparfait) perdant leurs voyelles au cours du développement de la langue française.

31   Un dénouement ironique...

Cette scène clôt sur un ton bien ironique: le baron accepte de faire ce plus facile des gestes; mais cette pénitence, il sera en effet incapable de l’accomplir, car, par un miracle et malgré tous les efforts du pécheur, ce barillet ne se laissera point remplir d’eau. Ainsi le baron se mettra inutilement en quête, de fontaine en fontaine, d’océan en océan... Une année plus tard, son corps tout abîmé par ses souffrances physiques, il reviendra chez l’ermite: enfin repenti de façon sincère, il pleurera, et une seule larme suffira à remplir le baril entier!